Cette publication des résultats du suivi de la cohorte Oxford Risk Factors And Noninvasive imaging (ORFAN) constitue une entrée grandiose de l’IA pour évaluer le risque de cardiovasculaire. C’est l’article de recherche le plus important de l’année 2024.
Cette étude de cohorte longitudinale multicentrique a porté sur 40 091 patients consécutifs ayant réalisé un coroscanner cliniquement indiquée par des médecins hospitaliers britanniques. 81% des sujets n’avaient pas de sténose coronaire significative mais 66% des événements coronaires et 64% des morts d’origine cardiaque est survenu chez ces patients.
Pour prédire la survenue de ces événements il a été comparé l’usage d’un calculateur de risque traditionnel (QRISK3) de la classification CAD-RADS 2.0 et de l’indice d’atténuation de la graisse périvasculaire (FAI). La grande nouveauté de ce travail a été la mise au point d’un algorithme de prédiction du risque cardiaque amélioré par l’IA, qui intègre le score FAI en plus des mesures de la plaque coronaire et des facteurs de risque cliniques.
Le principal résultat de l’étude est de démontrer que le AI-Risk est positivement associé à la mortalité cardiaque et aux événements coronaires en particulier chez les patients sans sténose coronaire significative sur le coroscanner.
Il s’ouvre donc une aire nouvelle dans la médecine prévention qui va être celle du calcul du risque CV utilisant L’IA-Risk. Le SCORE 2 proposé par l’ESC depuis 20 ans est certainement en fin de carrière.
Article paru dans Réalités Cardiologiques – n° 395 Novembre 2024 – L’année cardiologique
Xavier Girerd : Tous les patients à risque élevé sont-ils exposés aux mêmes complications ?
Atul Pathak : Il y a un moyen assez grossier mais très juste tout de même pour parler de complications à son patient. Si sa pression est élevée, le patient fera un AVC dans un délai de 10 à 15 ans. S’il est fumeur, son risque de complication n° 1 est l’artériopathie des membres inférieurs et la coronaropathie. S’il est dyslipidémique, c’est la coronaropathie qui sera la complication la plus probable précocement.
XG : Je voudrais ajouter le risque de mortalité. J’ai malheureusement, au cours de ma carrière, perdu des membres de ma famille, des amis, des collègues qui sont morts brutalement. Souvent, je savais qu’ils étaient hypertendus et qu’ils n’étaient pas bien soignés ou qu’ils ne voulaient pas se soigner en particulier lorsqu’ils refusaient la prise d’antihypertenseurs. Malheureusement, ces hypertensions non soignées ont eu comme première complication la mort !
AP : Je confirme, et je veux rappeler pour- quoi l’hypertension est aux États-Unis appelée “the silent killer”. L’HTA est tellement silencieuse que l’on ne s’en préoccupe pas, et c’est tellement silencieux que le premier signe en est la mort !
Mesurer la pression artérielle de façon systématique à chaque consultation cardiologique est le moyen de rendre bruyante cette maladie qu’est la HTA. Il ne me semble pas raisonnable qu’une consultation de cardiologie ne comporte pas la mesure systématique de la pression artérielle même si l’hyper spécialité du cardiologue n’est pas l’HTA. Une enquête réalisée par le CFLHTA en 2023 indiquait que pour 40 % des consultations de médecine générale, la pression artérielle n’était plus mesurée.
Entretien avec le Dr Romain Boulestreau (cardiologue, Bordeaux)
XG – Bonjour Docteur Boulestreau, vous êtes cardiologue au CHU de Bordeaux et spécialiste de la prévention cardiovasculaire. Vous êtes hypertensiologue. J’aimerais tout de suite vous poser la question : comment faites-vous en pratique pour évaluer le risque de complication de vos patients hypertendus ?
RB – Bonjour Professeur Girerd. On commence par l’évaluation des facteurs de risque traditionnels et par le risque à 10 ans donné par la grille SCORE2 qui comporte : âge, sexe, PAS, Cholestérol, Tabac.. Cette première étape est assez limitée. Il manque de nombreux paramètres. Et vous Professeur Girerd, quelle est votre pratique ?
XG – Pour moi la grille SCORE2 qui a 25 ans est en fin de carrière, et comme moi a des cheveux blancs. C’est pas mal mais il y a aujourd’hui beaucoup mieux comme calculateur du risque cardiovasculaire. Depuis 3-4 ans, j’utilise le QRISK3 c’est-à-dire le score mis au point par l’Université d’Oxford sur une énorme cohorte des habitants du Royaume-Uni. Ce calculateur utilise les nouveaux facteurs de risque. Ces nouveaux facteurs de risque, pouvez-vous les détailler ? Dans votre pratique, vous tenez compte desquels ?
RB – Ce sont les facteurs de risque traditionnels avec certains dits « nouveaux ». Le premier en importance est la maladie rénale chronique. Il y a aussi les femmes ayant eu une grossesse compliquée de prééclampsie, la ménopause, le stress psychosocial, des marqueurs de l’environnement, une maladie inflammatoire chronique. Et pour vous, quels sont ces nouveaux facteurs de risque ?
XG – Pour moi, la liste des paramètres du calculateur QRISK3 apporte une vision sur le risque des patients qui est très nouvelle. Par exemple, ce n’est pas le fait d’être une femme qui apporte un risque, mais ce sont les pathologies connues chez la femme qui sont à rechercher. C’est le cas de la prééclampsie (mais ce marqueur est trop rare pour avoir été incorporé au QRISK), en revanche s’il y a un antécédent ou la présence d’une migraine, et bien le risque cardiovasculaire est augmenté. Chez l’homme, la présence d’une dysfonction érectile ou de troubles de l’érection fait maintenant partie des paramètres cliniques à rechercher au cours d’une consultation de prévention. Si un homme a un trouble de l’érection à 50 ans, ce n’est pas uniquement la fatalité, la dépression ou une pathologie de la prostate, ce trouble peut être le signe d’une maladie des vaisseaux coronaires et sa présence augmente le risque de complication cardiaque. Mais il y en a d’autres. Pourriez-vous nous parler du risque associé aux maladies inflammatoires ?
RB – Effectivement, avoir une maladie rhumatismale chronique comme une polyarthrite rhumatoïde ou une maladie inflammatoire comme un lupus, vont augmenter le risque de survenue d’un événement cardiovasculaire. Il faut être particulièrement vigilant en cas de symptômes cardiovasculaires chez ces patients. Pouvez-vous nous en dire plus?
XG – Oui effectivement, tous les malades avec une maladie inflammatoire avec des signes rhumatologiques sont à haut risque de maladie cardiovasculaire. Il y a une autre catégorie, qu’on ne considérait pas du tout avant, qui sont les patients traités pour des problèmes psychiatriques sévères : dépression, schizophrénie, troubles bipolaires et ceux recevant de traitements antipsychotiques atypiques (amisulpiride, aripirazole, clozapine, lurasidone, olanzapine, paliperidone, quetiapine, risperidone, sertindole, zotepine). Il y a enfin les patients VIH. Actuellement, on doit avoir une vision complètement nouvelle sur des patients qui étaient jusqu’à présent considérés comme des patients d’autres spécialités mais que l’on devrait prendre en charge, nous, cardiologues pour prévenir les maladies cardiovasculaires. Pouvez-vous parler de l’obésité, comment considérez-vous les patients en obésité vis-à-vis de leur risque cardiovasculaire ?
RB – C’est une excellente question parce que, évidemment, le fait d’être obèse et d’avoir un IMC élevé est associé à un risque cardiovasculaire augmenté, mais il y a des éléments qui ne vont pas dans la logique des choses. Par exemple, les anomalies du bilan lipidique ne sont pas toujours associées à l’obésité et on observe souvent que le LDL cholestérol est meilleur dans les populations en obésité que dans la population générale. Cette vision contrastée entre obésité et risque cardiovasculaire s’améliore avec l’arrivée des études qui utilisent les analogues du GLP1. Dans les études récentes, l’étude SELECT en particulier, les traitements administrés pour faire perdre du poids, diminuent les complications cardiovasculaires. Tous les travaux de prévention cardiovasculaire importants montrent à quel point ce facteur de risque, qu’on avait un peu laissé de côté, je dois avouer, est en fait extrêmement important. Vous utilisez ce genre d’évaluation et ce genre de médicament ?
XG – Effectivement, l’usage des médicaments de la famille des « glutide » qui font maigrir de façon très spectaculaire est en train de de bouleverser la prise en charge des sujets qui ont un excès de graisse. La graisse, en particulier viscérale, est une des clés de la compréhension du risque cardiovasculaire. Un coup d’œil est tellement simple à donner pour estimer si son voisin ou son patient a un gros ventre : « oh celui-là c’est un futur client pour le cardiologue, il a de la bedaine ». La graisse abdominale n’a pas le même rôle néfaste que la graisse sous-cutanée. Une dame avec de grosses fesses n’a pas le même risque qu’un monsieur avec un gros ventre ! Mon patron, le Pr Michel Safar, me disait volontiers « un sujet avec une obésité en forme de poire a un faible risque cardiovasculaire alors que celui qui a une obésité en forme de pomme a un risque cardiovasculaire élevé. » J’aimerais revenir maintenant sur la localisation de la graisse. La graisse est parfois ailleurs que dans l’abdomen, il y en a aussi autour des artères. Pouvez-vous nous parler de la graisse située autour des artères coronaires ?
RB – Parlons de l’étude ORFAN qui a été publiée en juin 2024. Cette étude réalisée par l’université d’Oxford a apporté un concept extrêmement important et novateur. Il a été suivi 40 000 patients pendant 3 ans. Un sous-groupe de 3 400 patients ont eu un coroscanner initialement et ont été suivis 8 ans. Chez ces sujets, il a été réalisé une évaluation du risque cardiovasculaire par le QRISK3 mais aussi une évaluation de l’inflammation de la graisse péricoronaire. L’estimation du risque de complication coronaire par ces différentes méthodes a conduit à observer que 60 % des sujets qui font un événement cardiovasculaire coronaire, n’avaient pas de sténose coronaire sur le coroscanner initial. Le dépistage de l’ischémie avec une épreuve d’effort aurait été négatif. Pour moi, ORFAN apporte encore un nouvel argument pour arrêter de réaliser des épreuves d’efforts pour estimer le risque de coronaropathie chez les patients asymptomatiques. Un deuxième résultat de l’étude ORFAN est de montrer que « l’inflammation de la graisse péricoronaire » est 30 fois plus prédicteur de la survenue d’une mort d’origine cardiovasculaire et 13 fois plus prédicteur de la survenu d’un événement cardiaque que le seul calcul du risque par le QRISK3. Le nouveau biomarqueur « inflammation de la graisse péricoronaire » est pour moi une véritable révolution pour l’évaluation du risque cardiaque. Pr Girerd, quel est votre avis sur ce nouveau biomarqueur ?
XG – J’ai été absolument fasciné par les résultats de cette étude ORFAN. J’estime que ce travail de recherche est le plus spectaculaire des publications cardiovasculaires publiées dans le Lancet en 2024. Cette étude montre que si le coroscanner est normal, 60 % des patients vont quand même faire une maladie coronaire grave (infarctus ou décès). Devant cette réalité, il est nécessaire de progresser dans l’estimation du risque de complication cardiaque. Avec ce nouveau marqueur « l’atténuation de la graisse péricoronaire », un marqueur obtenu par un coroscanner qui est interprété par des outils nouveaux qui utilisent l’Intelligence Artificielle, je réalise qu’aujourd’hui que la machine voit des choses que l’œil humain ne voit pas… et que cela permet d’améliorer la prise en charge des patients. Dr Boulestreau, vous êtes un jeune cardiologue, est-ce que cette IA mise dans l’analyse des images cardiologiques c’est quelque chose qui vous intéresse ? Est-ce qu’à Bordeaux vous n’essayez pas de copier ces travaux réalisés à Oxford ?
RB – Effectivement, des équipes de recherche sont aussi capables de faire à Bordeaux de la prédiction cardiovasculaire aidée de l’intelligence artificielle. Évaluer l’atténuation d’un signal radiologique au niveau de la graisse péricoronaire indique l’œdème et l’inflammation au niveau des artères. Il faut de grosses bases de données patients pour permettre le travail d’une IA. Nous ne les avons pas encore mais c’est évidemment un sujet sur lequel de nombreux collègues travaillent avec ardeur. Ma génération de médecins s’engouffre dans cette direction !
XG – Merci pour ce témoignage. Il faudra refaire un entretien pour parler d’autres méthodes qui sont aujourd’hui à disposition des médecins pour évaluer le risque cardiovasculaire : la pulse wave velocity qui estime la souplesse des artères et d’autres marqueurs biologiques. Donc on se donne rendez-vous pour une autre fois, à bientôt !
RB – A bientôt, merci professeur Girerd.
Xavier Girerd : Je voudrais dire un mot de la publication en juin 2024 dans The Lancet de l’évaluation du risque par l’utilisation de l’IA. Cette publication des résultats du suivi de la cohorte Oxford Risk Factors And Noninvasive imaging (ORFAN) constitue, de mon point de vue, l’article de recherche le plus important de l’année 2024. Cette étude de cohorte longitudinale multicentrique a porté sur 40 091 patients consécutifs ayant réalisé un coroscanner, cliniquement indiqué par des médecins hospitaliers britanniques. 81 % des sujets n’avaient pas de sténose coronaire significative mais 66 % des événements coronaires et 64 % des morts d’origine cardiaque sont sur- venus chez ces patients. Pour prédire la survenue de ces événements, il a été comparé l’usage d’un calculateur de risque traditionnel (QRISK3) de la classification CAD-RADS 2.0 et de l’indice d’atténuation de la graisse périvasculaire (FAI). La grande nouveauté de ce travail a été la mise au point d’un algorithme de prédiction du risque cardiaque amélioré par l’IA, qui intègre le score FAI en plus des mesures de la plaque coronaire et des facteurs de risque cliniques. Le principal résultat de l’étude est de démontrer que le AI-Risk est positivement associé à la mortalité cardiaque et aux événements coronaires, en particulier chez les patients sans sténose coronaire significative sur le coroscanner.
Il s’ouvre donc une aire nouvelle dans la médecine de prévention qui va être celle du calcul du risque CV utilisant L’IA-Risk. Le SCORE 2 proposé par l’ESC depuis 20 ans est certainement en fin de carrière.