Auteur : Pr Xavier Girerd, Président de la Fondation de Recherche sur l’hypertension artérielle et cardiologue à l’Assistance Publique à Paris.
Je souhaite partager mon expérience pour savoir si la tension d’un sujet est « sensible au sel ».
Tout hypertendu a déjà entendu parler des bienfaits qu’il tirerait d’une limitation de sa consommation de sel. Les études réalisées au cours des dernières décennies ont montré qu’en moyenne une diminution de 1 g de la consommation de sel par jour s’accompagnait d’une diminution de 1 mmHg de la tension systolique. Mais il est par ailleurs connu que moins d’un hypertendu sur deux verra sa tension baisser s’il réduit le sel.
Les bilans nutritionnels réalisés chez les hypertendus montrent que le sel ajouté avec la salière n’est à l’origine que de 10% de la quantité totale quotidienne. Ce sont les aliments qui contiennent du sel pour leur fabrication ou leur conservation qui apportent la majorité du sel absorbé quotidiennement.
Pour savoir si un hypertendu a un intérêt à limiter le sel, il faut d’abord s’intéresser à son alimentation et pour cela connaître les aliments riches en sel caché qui composent la tradition culinaire de chacun : le Gaulois mange du pain du fromage et de la charcuterie, l’Italien aime la pizza et ajoute largement du parmigiano dans ses pâtes, l’Africain sub-saharien ajoute du Kubor® dans les plats traditionnels, l’Asiatique arrose de sauce soja et nuoc-man ses plats préférés, le Méditerranéen raffole des olives et des anchois, le Nordique aime le poisson fumé, l’originaire des Balkans ajoute de la poudre Vegeta pour donner du goût aux plats.
La réduction de la taille des portions ou l’arrêt de ces aliments pendant une semaine permet de juger de l’effet sur la tension de façon individualisée.
Depuis 1990, les experts médicaux ne recommandent pas de suivre un « régime sans sel » en cas d’hypertension artérielle.
Pour savoir si l’on consomme du sel de façon excessive : Faire le test Exsel
Ce texte est issu de l’interview du Pr Xavier Girerd dans la revue Nutritions & Endocrinologie
L’OMS recommande de limiter la consommation de sel à 5 g/jour, mais vous semblez remettre cela en cause. Pourquoi ?
L’OMS a émis des recommandations, en 2008, avec la fixation de ce seuil à 5 grammes de sel par jour, en consommation quotidienne pour la population de sujets « bien portants ». Or, elle n’a pas pu tenir compte, de données récentes issues d’une très grande étude entreprise par des médecins épidémiologistes : l’étude PURE (1) coordonnée par le Pr Salim Yusuf (« Étude PURE (1/2) »). Cette étude publiée en août 2014 dans la grande revue médicale « New England Journal of Medicine », est venue confirmer les résultats d’autres études qui avaient été menées sur des populations moins importantes en nombre, en particulier en Europe. Ces études confirment que les individus qui consomment les quantités les plus importantes de sel ont la mortalité la plus élevée, mais aussi que les individus « bien portants » qui consomment une faible quantité de sel, ont aussi une mortalité élevée ! Finalement, l’étude PURE permet d’établir que l’optimum de la consommation de sel était plutôt entre 8 et 10 grammes par jour et non pas entre 3 et 5 grammes journaliers, comme le recommande l’OMS depuis 2008. L’étude PURE, qui confirme un résultat déjà observé justifie la phrase, « Il est faux de dire que le manque de sel est toujours sans danger pour la santé ».
Que va faire l’OMS suite à la publication de ces résultats, selon vous ?
Les résultats de l’étude PURE font, depuis leur publication, l’objet de contestation de la part des partisans du « manger sans sel » qui disent : « il faut suivre les recommandations de l’OMS ». Mon avis est que lorsque les experts de l’OMS auront pris le temps de se réunir et d’analyser avec objectivité ces études récentes, les messages concernant le seuil optimal à conseiller chez les sujets bien portants seront modifiés vers un seuil plus élevé. En revanche, le message relatif aux effets défavorables d’une consommation excessive persistera, car les études récentes confirment bien qu’au delà de 12 grammes de sel par jour, le risque de survenue de maladies cardiovasculaires augmente indiscutablement. Ce message de santé publique doit être associé à celui d’une limitation de la consommation d’aliments qui contiennent du « sel caché ». En effet, c’est le sel apporté par les aliments qui apportent le plus de sodium dans l’alimentation : le sel rajouté de façon volontaire ne dépasse pas 10% des apports sodés quotidiens. Les 90% restants viennent des aliments. Dans l’alimentation traditionnelle Française, c’est le pain, la charcuterie, le fromage et les préparations qui contiennent ces ingrédients (sandwich, pizza, quiche) qui représentent 80% des apports sodés.
Mangeons-nous trop de sel en France ?
La consommation moyenne chez l’homme est de 8,50 grammes par jour et la consommation moyenne chez les femmes est de 7 grammes environ. Les objectifs du Programme National de Nutrition-Santé, pour la consommation
journalière de sel, sont : moins de 8 grammes chez les hommes et moins de 6,50 grammes chez les femmes. Nous sommes déjà assez proches de ces chiffres, donc en France nous ne sommes pas dans un mode de consommation excessive de sel. Peut-être est-ce grâce aux efforts et aux campagnes des institutions ont participé à la sensibilisation des biens portants à manger moins salé, moins sucré, moins gras. Puis, de gros efforts ont été faits par les industriels de l’agroalimentaire : quand ils ont pu diminuer la consommation de sel, ils l’ont fait. Il vaut mieux acheter du pain industriel que celui fabriqué par le boulanger du coin : le pain fabriqué industriellement est moins salé que le pain fait maison. Plus les procédés sont artisanaux, plus il y a de sel dans l’alimentation.
Lors des journées de l’HTA 2014, vous avez déclaré : « 19% des hypertendus sont des consommateurs excessifs de sel » ?
Tout-à-fait. Ce sont des études que nous avons réalisées au cours de l’année 2014 en évaluant de façon très précise le taux de sodium dans les urines des patients hypertendus. On a observé que 19% des personnes souffrant d’hypertension artérielle, étaient des consommateurs excessifs de sel. De plus, il y a une vraie différence entre les sexes : 25% des hommes sont des consommateurs excessifs, contre 13% des femmes. En outre, au sein des hommes, plus vous êtes jeunes, plus la proportion de consommateurs excessifs de sel est élevée. Les modes de consommation alimentaire des hommes de 18-25 ans sont : hamburgers, pizzas, aliments préparés qui contiennent beaucoup de composés riches en sel. C’est une population où se trouvent beaucoup de consommateurs excessifs de sel. En revanche, les femmes au-delà de 70 ans ne mangent pas de sel, car en général elles mangent peu. Puis, certaines personnes mangent plus de sel que d’autres. Il faut peut-être les aider à dépister cette consommation
excessive qui est très liée à des marqueurs très simples : Si vous voyez quelqu’un qui a un IMC supérieur à 30 et que c’est un homme, vous avez déjà une très forte probabilité qu’il soit un consommateur excessif de sel. La consommation de sel est un reflet de la consommation calorique. On n’est pas gros par hasard, mais parce que vous mangez des aliments riches en gras.
Que faut-il faire, selon vous ?
Il faut sensibiliser les consommateurs excessifs de sel. Pour cela, on doit voir avec eux leurs habitudes alimentaires et les points sur lesquels ils peuvent faire un effort : diminuer les quantités de pain, de fromage, de charcuterie et de certains aliments très riches en sels. J’ai mis au point, au cours de l’année 2014, un test que j’appelle ExSel-test (comité contre l’hypertension comitehta.org) avec 7 questions portant sur la fréquence de consommation d’aliments par jour, par semaine. Si on le fait avec rigueur et bon esprit, on peut voir si l’on est un consommateur excessif, donc diminuer sa consommation de sel en suivant quelques conseils simples.
Depuis des décennies le message «manger moins salé» est largement diffusé et connu du grand public. La raison de ce message répétée par tous les media est le bénéfice pour les patients hypertendus de voir diminuer leur pression artérielle lorsque la consommation de chlorure de sodium (le sel de cuisine) est diminuée. De nombreuses études ont en effet démontré qu’une diminution de 5 g par jour de la consommation de chlorure de sodium pouvait s’accompagner, chez 40% des patients hypertendus, d’une baisse de la tension. Les données de six études prospectives de cohortes d’adultes vivant aux USA2, initialement en bonne santé, afin d’évaluer le rôle du rapport sodium/potassium sur la survenue d’une complication cardio-vasculaire montre que pour chaque augmentation du sodium de 1 g (2,5 g de chlorure de sodium) il est observé une augmentation de 18 % du risque de survenue d’une complication cardiovasculaire. De plus, pour chaque augmentation de potassium de 1 g il est observé une diminution de 18 % du risque de complication cardiovasculaire.
Selon les études, il est recommandé de consommer au moins 4 fois plus de potassium que de sodium pour obtenir un bénéfice optimal. Il est important de noter que le potassium provenant des aliments est plus efficace que celui apporté par des comprimés.
Ainsi les données actuelles confirment que les effets cardio-vasculaires défavorables d’une consommation excessive de sel peuvent être moins importants si la consommation de potassium d’origine alimentaire augmente.
Les études scientifiques on montré que 80% de la baisse de la pression artérielle était observée après seulement 1 semaine d’un régime pauvre en chlorure de sodium (sel de table) et riche en potassium.
Malheureusement il existe de grandes inégalités dans l’efficacité de cette méthode naturelle car seulement 40% des sujets sont « sensibles au sel » c’est à dire vont diminuer leur tension après savoir modifié leur consommation de sel et de potassium. Les études menées aux USA ont montré que la « sensibilité au sel » était plus fréquente chez les femmes âgées de plus de 60 ans à la peau noire et était moins fréquent chez les hommes de moins de 60 ans à la peau blanche.
Mais prenons garde aussi de ne pas diffuser des messages qui seront mal compris par les patients car le risque d’hyperkaliémie n’est pas nul, en particulier chez les sujets ayant une insuffisance rénale ou chez tous ceux qui prennent des médicaments antihypertenseurs ayant une action sur l’élimination du potassium par les reins (les sartans, les IEC, la spironolactone, l’amiloride).
Je ne conseille pas à mes patients la consommation de « sels de régime. En effet, ce sont le plus souvent des sels de potassium et le risque d’hyperkaliémie est élevé en particulier chez les sujets de 60 ans et plus traités par un ou plusieurs médicaments bloquants le SRAA.
Quels sont les aliments qui contiennent du potassium ?
Beaucoup d’études ont montré qu’un régime riche en potassium entrainait une baisse de la pression artérielle de quelques millimètres de mercure et avait aussi des effets bénéfiques pour prendre en charge l’insuffisance cardiaque.
Le régime DASH mis au point aux USA est riche en aliments qui apportent du potassium. Il a été utilisé dans de nombreuses études et les preuves de son intérêt pour préserver la santé cardiovasculaire sont indiscutables.
Parmi les aliments riches en potassium et populaires on doit citer en premier le cacao. La rumeur indique souvent que le chocolat est riche en potassium. La vérité nutritionnelle est que ce sont les préparations les plus riches en poudre de cacao qui sont celles qui contiennent le plus de potassium.
Ainsi, pour augmenter les apports de potassium il faudra tenir compte du contenu en poudre de cacao du chocolat consommé : par exemple, un chocolat au lait est sucré et apportera peu de potassium, alors qu’un chocolat noir à plus de 70 % sera beaucoup plus favorable pour l’apport de potassium.
Il y a d’autres aliments riches en potassium. Ce sont :
Il faut aussi insister sur la relation complexe qui existe entre potassium et sodium. Du temps de l’homme de Neandertal la nourriture était riche en légumes, en fibres et en potassium et très pauvre en sel.
Aujourd’hui, le rapport sodium/potassium s’est inversé : on mange plus de de sodium (sel) que de potassium. Il a été montré que c’est l’élévation du rapport sodium/potassium qui augmente le risque d’hypertension alors que c’est l’augmentation de l’apport en potassium alimentaire concomitant avec une diminution de l’apport en sodium qui fait diminuer le rapport sodium/potassium et cela s’accompagne d’une baisse des chiffres de la tension !
La surconsommation de chlorure de sodium (sel de cuisine) est mauvaise pour la santé cardio-vasculaire.
Toutefois, un régime diminué en sel est bénéfique chez certains sujets mais pas chez tout le monde.
En revanche, un régime riche en potassium d’origine alimentaire est bon pour tous les sujets en bonne santé.
La supplémentation de potassium par comprimé peut être utile chez des patients qui souffrent de baisse de potassium du fait de la prescription d’un traitement par diurétique ou par corticoïde ou chez ceux ayant une perte digestive de potassium (par diarrhées ou vomissements).
En revanche, la supplémentation systématique de potassium peut exposer à un risque d’hyperkaliémie (élévation sanguine importante de potassium pouvant provoquer de graves troubles cardiaques) en particulier chez les patients avec une maladie rénale ou chez ceux prenant des médicaments par IEC par sartans ou par spironolactone.
Le suivi d’un régime riche en potassium doit donc être surveillé chez ces patients à risque.
Dans une enquête réalisée chez 2500 hypertendus suivis à la consultation d’un service spécialisé en Hypertension (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), un dosage du sodium sur les urines des 24 heures a été effectué.
Il est observé que le sel est ≥ 12 g chez 19% des sujets. Il existe une différence entre les hommes et les femmes avec une fréquence double chez les hommes à 25%.
Il est observé que le sel est < 6 g chez 29% des sujets. Il existe une différence entre les hommes et les femmes avec une fréquence plus élevée chez les femmes à 35%.
La consommation excessive de sel (≥ 12 g par jour) concerne une minorité de sujets hypertendus qui vivent en Ile-de-France, mais les hommes sont plus nombreux dans cette situation.
Auteur : Dr MC Wimart, membre du Comité Français de Lutte contre l’Hypertension Artérielle
On croyait déjà tout connaître sur le sel et la tension, mais une méta-analyse réalisée par l’équipe du Professeur Whelton aux Etats-Unis nous apporte de nouveaux éclairages sur le sujet.
Grâce aux études épidémiologiques, depuis 40 ans, on connaît bien la relation « pour 1 gramme de chlorure de sodium ingéré, on observe + 1 millimètre de mercure de tension systolique », le chlorure de sodium étant aussi appelé « sel ».
Dans cette méta-analyse qui a regroupé des études d’intervention, réalisées avec un régime enrichi en sel ou un régime restreint en sel, une analyse détaille les effets sur la tension SYS et la tension DIA de ces deux régimes chez les hypertendus et chez les normotendus.
Les résultats montrent que :
Lors d’une diminution des apports de sel de 5 g par jour, l’hypertendu a une baisse moyenne de sa tension systolique de -6 millimètre de mercure. Cette baisse est plus importante que celle du normotendu qui est de -2.
Lors d’une augmentation des apports de sel de 5 à 15 g par jour, l’hypertendu augmente en moyenne sa tension systolique de +10 millimètre de mercure alors que le normotendu l’augmente de 4.
En conclusion, cette analyse confirme que l’effet du sel sur la tension est différent chez l’hypertendu et chez le normotendu.
Elle apporte, pour la première fois, l’information qu’une consommation excessive de sel a plus d’effet sur la tension qu’un régime qui diminue le sel.
Cela est sans doute lié au fait qu’il est difficile de réduire de plus de 5 g par jour sa consommation de sel alors qu’il est facile d’avoir un excès de sel de plus de 10 g par jour.
Pour en savoir plus sur le moyen d’évaluer sa consommation personnelle de sel, rendez-vous sur le site comitehta.org
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